10 mars 2016

Temps de lecture : 4 min

Le native advertising pris entre deux feux ?

Entre adoration et détestation, la société n’est pas neutre à l’égard du genre publicitaire. Pour se faire accepter, celui-ci doit trouver de nouvelles formes valorisantes. Investir ou imiter les médias permettrait à la marque de renouer avec l’engagement.

Entre adoration et détestation, la société n’est pas neutre à l’égard du genre publicitaire. Pour se faire accepter, celui-ci doit trouver de nouvelles formes valorisantes. Investir ou imiter les médias permettrait à la marque de renouer avec l’engagement.

Les communicants tentent des dispositifs innovants pour s’émanciper des critiques. Créer du contenu sur les sites de presse en ligne est un moyen de contourner à la fois les systèmes comme Adblock et le sentiment de parasitage engendré par la publicité en ligne. Le postulat selon lequel les consommateurs ne sont pas naïfs conduit les marques à perpétuellement se réinventer. Elles prennent de nouveaux visages, de nouvelles formes, redoublent de créativité en s’intégrant dans des espaces vierges à coloniser. Parmi les nombreux dispositifs sur Internet, le « native advertising » apparaît comme un nouvel « Eldorado publicitaire ». Le procédé permettrait aux annonceurs de s’intégrer de façon « naturelle » sur les sites de presse en ligne, un moyen de déjouer les critiques qui leur sont faites. Une évidence ?

Le native, un eldorado publicitaire ?

Le « native » est une publicité éditoriale qui s’immisce dans le flux d’actualité d’un média en ligne sans gêner le parcours de lecture de l’internaute. Ces articles de marques se réapproprient les codes du journalisme et tentent de s’émanciper de la vision publicitaire de leurs discours. Et avec succès comme le confirme l’étude menée aux USA, en 2013, par l’agence Sharethrough avec IPG Médian, les consommateurs interagissent avec le native advertising 52% plus souvent qu’avec les bannières web. tout simplement parce qu’elle permet aux marques d’être plus créatives dans leur approche du consommateur et de générer davantage d’interactions. Le New York Times s’était illustré dans cette pratique avec un article sur l’univers carcéral féminin, mis aux couleurs de la série de Netflix « Orange is the new black ».

Le « native advertising » donne toute sa vraisemblance à la croyance selon laquelle « la publicité doit faire sa mue ». Ce type de dispositif représente un levier de développement pour l’industrie publicitaire. Il permet aux titres de presse en ligne de promouvoir de nouvelles offres; c’est également une justification de l’expertise de certaines agences de communication. Par exemple, le pôle d’opérations spéciales d’Havas Media dédiées à la Data et aux contenus a été nommé, Havas Native. Pour l’annonceur, investir dans cette discipline est un moyen de mesurer avec précision « l’engagement » d’une campagne via les données récoltées tout en ciblant davantage les attentes de l’internaute avec du contenu contextualisé. Elle représenterait en creux la promesse de renouer avec l’engagement du public via une communication plus ciblée et adaptée au support. Encore discrète en France, cette offre représente un marché de plus de 4 milliards de dollars aux Etats-Unis d’après l’étude de Socintel360, réalisée en 2014.

Les limites du « tout publicitaire »

Protéiforme, le « native » bouscule notre représentation « traditionnelle » de la communication en la travestissant. La question est de savoir si ce type de publicité apporte une valeur ajoutée au lecteur ou se joue de lui en gommant l’intention mercantile de la démarche. Certains contenus publicitaires natifs agissent en effet de façon masquée. C’est un moyen de faire « consommer » la marque aux lecteurs sans qu’ils en aient l’impression. La publicité sort de son « cadre publicitaire » en s’immisçant dans le contenu et tend à reconfigurer dans une même dynamique l’espace qu’elle investit. La publicité étend son influence alors même qu’elle voulait la dissiper.

Ce subtil balancement entre publicité et journalisme semble périlleux. En produisant et en abritant du contenu éditorial publicitaire, le média en ligne doit s’assurer de ne pas miner le travail journalistique et ainsi décrédibiliser son image. Les enjeux déontologiques sont cruciaux. Les articles « natifs » circulent au même niveau que ceux écrits par des journalistes. Pourtant, ils sont réalisés par des agences de communication ou des régies n’ayant pas nécessairement les compétences internes pour assurer un travail journalistique rigoureux.

La question est de savoir jusqu’à quel point les marques peuvent investir un média en ligne sans le dévaluer en se jouant de la « crédulité du lectorat » via une approche dite journalistique. L’étude, menée par l’agence américaine Contently en 2015, révèle que 62% des sondés pensent qu’un site de presse perd en crédibilité en faisant du native advertising. Le média en ligne pourrait à terme affecter son image auprès du public en opérant une valorisation trop importante de la marque. En effet, cette dernière a une double nature : à la fois économique et culturelle. Par la création de contenu, elle refoule son caractère marchand en voulant s’unir au média.

La marque est en fait prise entre deux feux sur le numérique : s’intégrer au sein des contenus culturels au point de nier son caractère marchand tout en restant reconnaissable pour opérer une valorisation. La présence publicitaire ne peut pas totalement disparaître, elle doit être reconnue et qualifiée, un calibrage subtil auquel s’essayent les médias en ligne. Ce point de tension démontre que le native advertising est encore dans une phase de négociation, de questionnements et d’expérimentation.

En suivant cette dynamique, la publicité de demain viserait à être intégrée dans la vie du consommateur en lui rendant service au quotidien par les contenus qu’elle véhicule. Faire preuve de modestie et de discrétion de manière à s’immiscer encore plus « naturellement » dans la culture. Réclame, publicité, communication, contenu de marque et maintenant « native advertising » : l’industrie ne cesse de créer de nouveaux qualificatifs pour promouvoir son offre. En investissant les médias, les marques se légitiment « par le rejet apparent des formes publicitaires, des circulations médiatiques habituelles » comme le souligne la chercheuse Karine-Berthelot Guiet dans l’ouvrage « La fin de la publicité ». Mais n’en doutons pas, le native advertising sera sûrement bientôt dépassé, par un nouveau concept qui a son tour probablement participera à ressusciter le désir inextinguible des marques : faire adhérer un public à leur cause. La renaissance publicitaire permanente conduit les marques à apparaître sous de nouvelles formes. C’est une façon d’intégrer l’ensemble des strates de la vie quotidienne, et spécifiquement sur le numérique. La société tout entière deviendra-elle un temple érigé aux couleurs de la marque ?

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