22 janvier 2014

Temps de lecture : 4 min

Faut-il assassiner le gender marketing ?

Les excès du gender marketing enflamment les réseaux sociaux au quart de tour. Plus souvent décrié que prôné, le marketing sexué a mauvaise presse. Faith Poporn, papesse du marketing américain prédisait même sa fin. Pourquoi n’a-t-il toujours pas disparu ? Ne se réduit-t-il qu’à ses dérives sexistes ? Analyse de Womenology.fr / aufeminin.com.

Dimanche dernier, je préparais le cartable de ma fille. Je prends ses BN préférés dans le placard. Sur chaque sachet, une blague est insérée. Dont une qui n’est vraiment pas drôle : « Le rugby féminin existe…ça s’appelle les soldes ! ». En publiant la photo sur Twitter, relayée sur le blog et le compte Twitter de Sophie Gourion, c’est le début de l’embrasement. Les stéréotypes nous lassent, les stéréotypes nous fatiguent. Le gender marketing joue avec eux. Il créé souvent l’exaspération.

Comment définir le gender marketing ?

La définition du gender marketing est un exercice délicat. Vouloir le définir veut dire qu’on s’intéresse à lui. Et s’intéresser à lui – sans uniquement dénoncer ses dérives – voudrait dire qu’on l’approuve. Le sujet est polémique. Pourquoi ? Sur certains marchés, les marketers constatent des différences entre les hommes et les femmes. Différences d’usages, différences de comportements, différences d’attitudes… Partant de ces différences, les adeptes du gender marketing identifient des opportunités de segmentation par genre. Et c’est là que le bât blesse. Surfer sur les différences culturelles entre les hommes et les femmes peut accentuer les stéréotypes. Et figer les notions de masculinité et de féminité. Comment tolérer que le marketing soit capable de faire reculer la société ? Lorsque le gender marketing ébranle nos aspirations d’égalité entre les hommes et les femmes…comment ne pas se mettre en rogne ?

Sexiste et rétrograde, le gender marketing est capable du pire

Le gender marketing a donné naissance à de nombreux produits farfelus. Sophie Gourion, journaliste et blogueuse, a repéré pour Slate des cas particulièrement étonnants : brosse à dents pour elle, brosse à dents pour lui, stylo pour homme et femme…En 2010, Philips lançait le premier fer à repasser conçu pour les hommes. Car « Si l’homme ne repasse pas c’est que, d’après lui, il manipule aussi mal un fer à repasser que sa femme une perceuse. Une inégalité flagrante que Philips a donc décidé de combattre grâce au premier fer à repasser pour hommes ». Les stéréotypes n’ont pas de frontière car, au Maroc, la Société Générale, « fête les femmes, et leur offre une carte (bancaire) fraîche, printanière et fleurie « qui leur ressemble », et reflète leur personnalité. Avec la carte Pour elles un vent de fraîcheur printanier s’invite dans les portefeuilles féminins ». Sans commentaires. Le gender marketing se vide de tout son sens… quand il conçoit des produits ou des services différenciés…là où – spécifiquement – il n’existe aucune différence hommes/femmes.

Le réduire aux marchés naturellement genrés est une erreur

Face aux dérives constatées, le gender marketing n’a-t-il donc aucun sens ? Le périmètre du gender marketing doit-il se réduire aux marchés « naturellement » genrés comme les tampons ou les préservatifs ? Il n’y a aucune raison de prendre des raccourcis trop rapides. La polémique doit nous amener à réfléchir. Sur certains marchés comme l’hygiène/beauté, les différences culturelles entre hommes et femmes sont bel et bien présentes. Les marketers doivent les prendre en compte sous peine de fragiliser leurs marques. Elisabeh Tissier-Desbordes, Professeur à l’ESCP Europe, indique que « pour un homme, la consommation de produits cosmétiques peut entrainer une remise en cause de sa virilité et de sa masculinité ». L’art du gender marketing consiste alors à proposer aux hommes une offre de produits – similaire à celle des femmes – tout en adaptant le marketing mix : nom de marque virilisé, discours axé sur la performance et l’efficacité, choix d’égéries réussi. Isabelle Ulrich, Enseignant Chercheur à Rouen Business School ajoute que « la dénomination « Men Expert » (…) apporte à la marque une caution, l’expertise et le sérieux que peuvent attendre les hommes sur ce type de produits ». Les exemples réussis de gender marketing existent. Dans la grande conso (L’Oréal Men Expert, Venus de Gilette) ou le luxe (Boss, Dior), le gender marketing a su prouver son utilité. On peut évidemment être en désaccord avec les représentations du féminin et du masculin véhiculées par certaines marques. On peut aussi trouver que les évolutions de ces représentations ne vont pas assez vite. Mais il ne faut pas oublier que les marques qui sont trop en avance – ou trop en retard – rencontrent des difficultés. Les marketers ne doivent ni négliger l’impact de leurs actions sur la société civile ni le compte d’exploitation de leurs marques.

L’avenir du marketing est-il féminin ?

Pour que le féminin soit mieux représenté par les marques, devrions-nous féminiser nos actions marketing afin de développer nos marques ? « Un meilleur marketing à destination des femmes entraîne une plus grande satisfaction des clients masculins » souligne Marti Barletta, auteur américaine de l’ouvrage « Marketing to women : How to Increase Your Share of the World’s Largest Market ». Cette approche est à mettre au regard du concept de design universel. « Si vous designez des produits plus utiles et faciles d’emploi à destination des femmes, ne vous étonnez pas que tout le monde les préfère (…) Il y a un exemple très simple, qui remonte à l’époque où les chambres d’hôtel ne disposaient pas de miroirs de maquillage grossissants. Ces derniers sont apparus dans les années 1980, au moment où les femmes ont commencé à davantage voyager pour des raisons professionnelles. Logeant de plus en plus dans des hôtels, elles étaient nombreuses à réclamer la présence de tels miroirs dans les salles de bain pour pouvoir se préparer plus vite le matin. Une fois les miroirs installés, les hommes ont à leur tour commencé à utiliser ces miroirs pour se raser, ce qui leur permettait d’être plus rapidement prêts. Mais les hommes n’avaient jamais pensé à réclamer de tels objets. Une fois installés, ils ont été aussi utiles aux hommes qu’aux femmes, et sont aujourd’hui présents dans la majorité des salles de bain des chambres d’hôtel » souligne Marti Barletta.

Bridget Brennan, dans son ouvrage « Why she Buys », avance une idée similaire : l’absence de culture féminine serait à l’origine du déclin de l’industrie automobile américaine, contrairement au succès des modèles asiatiques. A Detroit, « les équipes de management à prédominance masculine ont trop longtemps mis en avant leurs valeurs et leurs goûts personnels ». Il faudrait presque inscrire sa politique marketing dans une démarche de discrimination positive à l’égard des femmes. Un marketing plus égalitaire car plus féminin. Un marketing plus efficace car plus féminin. Sentons-nous libre de vouloir redéfinir le gender marketing. Hier soir, L’Express annonçait que BN va retirer sa blague sexiste des sachets. Nous avons cette capacité à renverser des murs pour qu’ils deviennent des ponts. Vers plus d’égalité. Vers plus de justesse. Au lieu de vouloir assassiner le gender marketing…et s’il fallait…le réinventer ? le sauver ?

Benjamin SMADJA, Directeur Marketing, aufeminin.com ; Womenology.fr
@womenology

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