26 octobre 2015

Temps de lecture : 8 min

Comment une ville peut-elle se faire une beauté ?

Une belle ville ne dépend pas uniquement de son économie mais de la volonté politique pour le bien public et de l’idée intellectuelle qui règne autour de sa définition. Pour y remédier, et en vertu de la qualité de vie, Alain de Botton, journaliste et écrivain édicte 6 règles. Provocantes ou utopistes, elles incitent à l’action.

Une belle ville ne dépend pas uniquement de son économie mais de la volonté politique pour le bien public et de l’idée intellectuelle qui règne autour de sa définition. Pour y remédier, et en vertu de la qualité de vie, Alain de Botton, journaliste et écrivain édicte 6 règles. Provocantes ou utopistes, elles incitent à l’action.

Qu’est ce qui est beau et qu’est ce qui ne l’est pas… Un débat sans fin tant la subjectivité y tient la vedette. Et finalement à chacun son opinion quel que soit le sujet puisque tout dépend de sa propre perception. Sauf, selon Alain de Botton, en ce qui concerne les villes où le critère beauté ne peut souffrir aucun « petit arrangement personnel ». Tout simplement parce que, pour ce philosophe, écrivain, éditeur et co-fondateur de The School of Life à Londres, de cette beauté dépend la qualité de la vie citadine. Et pour ne pas mettre ce critère en danger, il faut le traiter avec la plus grande objectivité en lui appliquant une approche scientifique et indiscutable dès lors qu’on entre dans un processus de conception, d’extension ou de rénovation. Et pour cause « La ville est affaire d’importance puisqu’une grande majorité d’individus y vit », tance Alain de Botton.  « De plus, plusieurs études montrent qu’habiter un bel endroit se corrèle plus naturellement avec les notions de bonheur et de vitalité économique qu’avec celles de sécurité ou de propreté. Des raisons suffisantes pour que chacun se bouge et s’applique à l’améliorer », ajoute-t-il. Un propos rationnel et simple dont l’objectif principal est de pousser à l’action. Et qu’il détaille dans une vidéo animée très didactique où parti pris et moult exemples relèvent absolument de ses goûts et de ses couleurs, comme Paris, une de ses cités favorites !

« De la beauté d’une ville dépend la qualité de vie »

Et de fait, certains arguments confinent à la nostalgie ou au conservatisme comme, par exemple, la hauteur des immeubles qu’il limite à 5 étages. Pourtant l’expérience montre que si la législation est nécessaire pour le cadre général, il est bon de se départir de certains critères, car alors nous n’aurions ni New York, ni Tokyo, si fascinantes. Autre bémol, il prend comme seule mesure chiffrée, les statistiques de fréquentation touristique d’une ville qui, selon lui, sont le meilleur indicateur de son esthétique et de sa capacité à attirer. Néanmoins, plusieurs villes, encore, n’affichent de bons scores qu’en raison de leur aéroport ou autres passages obligés pour aller ailleurs. Enfin, même si on y parle des axes de communication, il manque deux points cruciaux à ce manifeste, celui de la verdure et du rapport à l’espace environnant de la ville. Or un projet immobilier comme Hikari au cœur de La Confluence à Lyon, montre bien tous les bénéfices qu’on peut retirer de la configuration physique et géographique d’un lieu. Dessiné par Kengo Kuma, ce projet -dont le nom signifie lumière en japonais- s’insère parfaitement à la presqu’île en mixant à la fois l’énergie positive et les caractéristiques incontournables d’un lieu de vie avec des bureaux, des habitations différentes mais homogènes et des commerces.

Autre point trop vite balayé, celui des transports, du transit de masse et de l’utilisation restreinte de la voiture individuelle. Avec leur implantation, leur technologie et leur fréquence, ils permettent d’embellir une ville en la rendant plus facile à vivre. D’abord en gérant la modernité, les échanges, les flux, la pollution, la fluidité, la praticité et les événements… Puis en soulageant les porte-monnaie qu’il s’agisse de celui d’une entreprise, d’un commerçant, d’un particulier, d’un touriste, d’un citadin… Une accessibilité à plusieurs niveaux est donc nécessaire. Car elle revient à défendre le pouvoir d’achat en donnant envie soit d’y passer, soit de s’y installer.

Vouloir et agir

L’exercice fricote avec idéalisme et contestation mettant devant leurs responsabilités les milieux économiques, politiques mais aussi la société civile, tous sommés, dans certains cas, de revoir leur copie… Il n’en reste pas moins très intéressant. Car s’il est tour à tour un brin approximatif, benoît ou provocateur, il a le mérite de délivrer une vision, d’ouvrir le débat sur la définition de la beauté d’une ville laissée en jachère, de parler d’avenir. Et enfin, de souligner qu’en l’occurrence les questions budgétaires n’entrent pas en ligne de compte dans le choix ou non de modeler une jolie ville, car collectivement on arrive toujours à réunir les ressources nécessaires. Ejectant ainsi d’un revers de main toutes les objections en lien avec la crise et l’absence de moyens qui valideraient le repli. L’occasion de renvoyer chacun à ses responsabilités : du citoyen lambda « un peu mouton » aux architectes ou spécialistes du développement urbains qui devraient « songer à créer un indice rationnel d’esthétisme » en passant par les promoteurs ou les décideurs politiques. Chacun doit y prendre sa part et pour se faire Alain de Botton propose un précis en 6 points stricts que toute ville souhaitant être belle et attractive devrait intégrer. Et qui bien souvent sont inter dépendants. Revue de détails de ce guide avec ses « pour » et ses « contre ».

Un guide en 6 règles : à poser sur le chevet de tout décideur ?

L’ordre : les bâtiments devraient être uniformes en termes de taille, de largeur, de symétrie, de disposition. Une standardisation qui sert l’équilibre et l’harmonie. Sans lesquels une ville ressemblerait un peu à une bouche où ses dents bancales n’auraient pas été corrigées et qui contrarieraient tout sentiment de confort. Néanmoins, rien n’empêche dans ce cadre assez strict une personnalisation, une expression créative ou une libre interprétation qui donnent à chaque maison ou immeuble son individualité, sa différence. D’ailleurs, concernant les gratte-ciel, ce n’est pas leur taille ni les progrès techniques induits qui posent problème mais leur implantation sans planification. D’autant que l’ordre ne doit pas être excessif, car trop de régularité peut nuire au bien-être, susciter le désœuvrement, le vide ou nous faire sentir comme des aliens. Donc de l’ordonnancement mais avec de la diversité.

L’ordinaire du quotidien assumé au grand jour : les rues, les quartiers, les boutiques… doivent être un théâtre trépidant exactement comme l’est la vie des habitants. Et pour cela, il faut faire place à la proximité, à l’échange dans des espaces où l’on peut marcher, acheter, montrer ce qu’on fait, se voir les uns les autres, se pencher à la fenêtre, se sentir connecté naturellement. Au détriment des zones bordées d’autoroutes et de parkings qui desservent des buildings, des entrepôts ou des centres commerciaux… Derrière lesquels il y a sûrement une forte activité et une existence intense mais qui créent, malgré tout, le désert parce qu’ils sont comme une barrière, un mur, une clôture qui ferment à tout. Non seulement, ils ne laissent rien voir mais tout y est froid, rapide et désorientant. Les concepteurs ou designers obsédés par les nouvelles technologies, la praticité, l’utilité doivent tenir compte de ce besoin d’ouverture sur la vitalité qui donnent à la ville son capital sympathie en plus de son côté pratique et efficace.

La proximité : haro sur ces banlieues repoussées et plus ou moins résidentielles. Nourries par l’idée historico/sociologique qu’il faut être éloigné de ses voisins, elles sont trop à l’écart et ne distillent bien souvent qu’ennui et solitude désastreuse. En effet, trop d’espace est parfois, pour l’individu, synonyme d’aliénation, de dislocation, d’oppression tant il se sent petit, isolé, écrasé. Prime à la mitoyenneté et à la familiarité -sources de contact- puisque l’ordre règne grâce aux progrès, comme on l’a vu plus haut. Avec plus d’habitations proches et des squares, des espaces publics ou privés à la taille et à l’agencement qui favorisent la confidentialité sans pour autant susciter la claustrophobie. Ils deviennent ainsi comme une extension de chez soi où on peut se poser, lire, consommer, être aimable… Ce sont des endroits où on se sent bien, où on aperçoit l’autre sans être intrusif, sans tension et qui donnent envie de sortir et de créer des liens. Cette intégration, ce décloisonnement rendent la ville belle en plus d’être bénéfiques pour l’économie.

Le mystère et la fluidité : par définition, une ville est grande, voire immense. Mais rien de mieux qu’un recoin, une ruelle, un passage couvert, un coin verdoyant où on peut se perdre et dénicher l’improbable. Développant ainsi tout ce que les gens aiment plus que tout : le sentiment de mystère, d’aventure, d’exceptionnel. Un équilibre est donc à respecter entre des grands axes dédiés aux distances étendues et au flux des voitures et des camions, et des petites voies, synonymes de convivialité, d’échanges.

L’échelle spatio/terrestre : l’occupation des sols n’est pas seule en jeu, celle de l’espace aussi. Tout est permis y compris les tours géantes, encore faut-il savoir à quoi elles sont dévolues. Car bien souvent elles nous en disent plus sur l’économie, la politique, la puissance de la finance, la bonne santé des entreprises… que sur ce que la société civile représente ! En effet, tout en nous racontant leurs épopées économiques elles sont un peu désespérantes pour qui, en ouvrant sa fenêtre, tombe dessus. Alors sans vouloir uniquement des villes musées ou historiques, il faut penser à son horizon et à qui appartient l’espace. Une interrogation légitime et de principe dont dépend le droit de décider de ce qu’on peut apercevoir de son balcon. Ainsi un immeuble ne devrait pas dépasser 5 étages et si gratte-ciel il y a, il doit être assumé et offrir quelque chose de spécial, d’époustouflant… que toute l’humanité peut apprécier et s’approprier. C’est un peu radical et utopiste mais c’est une question d’ambition et de long terme, qui mérite d’être posée comme par exemple pour la Tour Triangle à la Porte de Versailles à Paris. Cette dernière a, en effet, récemment fait débat en posant la question de fond pour savoir si ce bel édifice- qui veut faire le lien entre la banlieue et la capitale- proposera un entresol et un rez-de-chaussée en adéquation avec la rue et le vivant… et deviendra ainsi encore plus magnifique.

Le local revendiqué : rien de plus ennuyeux qu’une métropole sans personnalité, sans altérité, sans disparité. Quel est l’intérêt de retrouver le même centre-ville que celui d’une autre localité ou des constructions copiées/collées à 1000 ou 7000 kms de là ? Bien sûr tout le monde souhaiterait des pistes cyclables partout. Cependant la capacité d’une ville à être typique, à refléter le caractère et le style de vie, d’une région, d’un pays, fait sa force et son charme. Car, en tant que résidents, ce qu’on réclame le plus, c’est que ses propres besoins soient contentés et que la vie collective soit organisée au plus juste de ses attentes. De même, un visiteur aspirera au dépaysement, à la surprise, voire parfois au mal du pays. Et pas seulement à cause du climat, des traditions, de langue, de la culture ou de l’histoire mais aussi en raison des partis pris architecturaux ou environnementaux. Rien n’est plus précieux que la diversité qui répond aux exigences de chaque société et qui fait réagir en bien ou en mal les visiteurs. Mais là encore, tout dépend, comme dans les 5 autres règles, du courage des décideurs. A ce titre, l’initiative de l’artiste Pierre Lenoir Vaquero pour valoriser Le Havre, est remarquable car complètement en phase avec l’actualité récurrente de sa ville. Encore loin d’être réalisé, son plan est ainsi d’exploiter ses atouts autour du cinéma pour en faire le « Hollywood de Normandie ». Ambitieux et constructif, P.L Vaquero est témoin d’un attachement personnel en même temps que d’une prospective publique qui pourraient bien faire entrer avec brio Le Havre dans le XXIème siècle.

Alors la beauté doit-elle ou non être un critère du futur pour une ville ? C’est bel et bien subjectif. Et quand on analyse comment certaines d’entre elles ont évolué à la fois dans leur concept ou dans leur apparence, force est de constater que tout est relatif et qu’il n’y a rien d’universel. Certains bâtiments ou espaces jugés aujourd’hui parfaitement à leur place, n’ont-ils pas défrayé la chronique en leur temps ? Beaucoup de métropoles, capitales ou non, sont belles à leur manière en empruntant des voies plus ou moins conventionnelles et deviennent parfois, contre toute attente, des modèles !

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